Ethique et psychothérapie

PENSER UNE ETHIQUE POUR LA PSYCHOTHERAPIE
La relation accompagnant/accompagné
Le terme de psychothérapeute renvoie à la dimension du soin de tout ce qui a trait à la pensée, au psychisme, à l’esprit, à l’âme. Le thérapeute, du grecq « θεραπευτη ́ς », réfère à celui « qui prend soin », « celui qui prend soin du corps », donc à celui qui soigne. Se pose alors la question de savoir ce que signifie le terme de soin !
Immédiatement, nous le verrons, ce premier terme va renvoyer à la question d’une éthique du lien.
  • Ethique et soin : définition et étymologie :
Etymologiquement, « éthique » vient du grec « ethos », qui signifie « lieu de vie, habitude, mœurs, caractère, état de l'âme, disposition psychique ». Quant au mot « soin », le terme renvoie du coté germanique à l’idée de « s'occuper de, se soucier de ». La racine latine du terme nous envoie, elle, à « l’action de songer à quelqu’un, à l’attention, au soin ». Le Larousse, lui, propose plusieurs définitions. On retiendra celle de « l’attention que l'on porte à faire quelque chose avec propreté, à entretenir quelque chose ; Souci de bien faire, effort, peine scrupuleuse que l'on se donne ; Charge, devoir de veiller à quelque chose, de s'en occuper » (Soin, para.1).
  • Du soin et du soignant :
Il nous faut déjà aborder ce qui amène une personne à rencontrer un psychothérapeute.
Weizsaecker, dans une démarche phénoménologique, parle d’un être dont la continuité de la ligne de vie est perturbée. Le sujet vit des situations de crise qui supposent des réajustements, des transformations afin que puisse se perpétuer le cycle de la structure. Ainsi, Lazare Benaroyo, voit dans la pratique psychothérapeutique une « activité de re-possibilisation » (Benaroyo, 2010, p.27) qui passe par le langage verbal mais aussi corporel. Celui-ci transite par ce que Weizsaecker nomme commerce (Umgang), c'est-à-dire rencontre au sens phénoménologique du terme. S’appuyant sur la pensée de Levinas, Benaroyo propose alors « d’adopter une posture d’accueil et de responsivité aux divers registres narratifs de la souffrance qui se médiatisent et se donnent à penser dans son propre langage. » (Benaroyo, 2010, p.35-36). C’est dire que l’accompagnant est impliqué dans la recherche de mieux être de la personne en souffrance et qu’il se doit de s’articuler à la manière dont celle-ci se donne et se communique.
Au travers du prisme psychanalytique de Winnicott, nous dirons, que les discontinuités exposent à des angoisses primitives qui renvoient aux premiers moments de la vie du nourrisson. Plus tard, dans le développement de l’enfant, Winnicott montre comme il aura à composer petit à petit avec la réalité extérieure et ce, par le désillusionnement progressif d’une mère suffisamment bonne. L’environnement est donc impliqué au plus haut point dès les premiers moments de la vie afin que l’enfant fasse l’expérience du monde et devienne. En cela, le soin correspond à une relation de dépendance par laquelle on va progressivement vers l’autonomie et la maturité. On comprend que cette relation vient donc questionner directement la posture de l’accompagnant. Elle renvoie directement à une éthique du soin qui pose des balises, des repères dans le travail engagé et protège tout à la fois l’accompagnant et l’accompagné des glissements auxquels le travail les expose.
  • La mise à mal de l’éthique :
Heidegger l’avait bien montré au travers de sa notion de la technique, les notions de rentabilité et d’efficacité ont eu des conséquences sur l’humanité : l’homme s’éloigne de la vérité qui permet la compréhension. La technique est comprise ici comme « un mouvement de recouvrement d’une ouverture originelle » (Pommier, 2016, p.528) et Eric Pommier rajoute : « ce n’est pas l’homme qui domine la nature par la technique. C’est l’essence de la technique, son mode propre de compréhension qui nous tient et tient la nature avec elle » (Pommier, 2016, p.527). Ainsi, toute éthique répondant à une morale qui suppose une norme n’est qu’une autre forme de la technique. Elle ne fait que renouveler sa volonté de contrôler. L’éthique qui nous intéresse est plutôt celle que Jonas a signifiée sous le terme de responsabilité. Celle-ci est entendue comme commandant « un agir pratique dont le sens excède toujours ce que la technique pourrait en comprendre. » (Pommier, 2016, p.531). Pour supporter et mener à bien cette responsabilité, le soignant est engagé dans la relation de telle manière que cela excède une compréhension technique pour laisser la place à la reconnaissance d’une valeur supérieure : « celle de l’être dont nous sommes responsable et celle de notre propre existence, en ce qu’elle sacrifie la part la plus égoïste de soi pour prendre en charge l’autre, qui incarne une possibilité d’humanité. » (Pommier, 2016, p.531). Dès lors, la question de l’éthique du soin se déplace du coté de celle du lien.
  • Une éthique du lien pour une éthique du soin :
Déjà pour Socrate, le terme de soin ne renvoyait pas à un ego fermé sur lui-même mais bien plutôt à un soi qui a trait à la communauté, à la société. On comprend donc l’idée des grecs selon laquelle « on ne pourrait bien se soucier des autres que si l’on se soucie déjà correctement de soi-même » (Gros, 2007, p.16). Définir une éthique du soin, c’est donc définir une éthique du lien.
Ce lien ne relève pas de l’amitié, ni de l’amour chrétien même si Frédérique Gros les situe clairement du coté de la vie. Il ne s’agit pas non plus du respect inconditionnel même si, selon Kant, il concerne des hommes égaux dans leur dignité. En effet, comme Fréderic Gros le remarque, dans ces façons de penser le lien, « on ne suppose pas à priori que l’autre apparaisse dans une infériorité qui m’oblige » (Gros, 2007, p.18). C’est par contre le cas de la compassion qui engage l’accompagnant dans la souffrance de l’accompagné et le saisit dans tout son être, dans un sentiment de non-différenciation avec lui et de telle manière que sa souffrance devient la sienne. S’il en va de même dans la pitié, par contre, celle-ci engage du coté d’une dimension beaucoup plus méprisable du lien. Du mépris se dépose toujours dans le fond de la pitié et ce fond n’est pas sans résonnance avec les propos de Winnicott qui déclarait : « la sentimentalité, qu’elle qu’en soit la forme, est pire qu’inutile » (Winnicott, 1989, 54).
C’est du coté de la sollicitude que nous trouverons le début d’une issue. Celle-ci porte un en elle un mouvement qui nous emmène vers l’autre. « Dans la sollicitude en effet, on trouve l’idée qu’on porte attention à la souffrance de l’autre, qu’on se propose de la soulager, mais en laissant ouverte la possibilité que cet autre puisse m’apporter quelque chose et même constituer une leçon pour moi. » (Gros, 2007, p.19). Là, l’accompagnant se laisse toucher par le malheur de l’autre, il est renvoyé à lui même, à sa condition d’être humain, d’être vivant, d’être mourant. Il y a là le début d’un socle solide pour fonder une éthique du soin et en effet, Frederic Gros reprend la pensée de Levinas selon laquelle « le sens de l’humain s’accomplit dès qu’il répond à l’appel de l’autre. Est responsable celui qui répond à l’invocation que constitue la fragilité d’un autre. » (Gros, 2007, p.20).
Enfin, la notion d’empathie apparaît comme complémentaire à celle de sollicitude pour penser une éthique du soin. Elle est héritée de l’esthétique allemande et du terme Einfühlung dont le préfixe « Ein » signifie dans. Pour Robert Vischer, l’Einfühlung désigne la relation esthétique qu’un sujet peut entretenir avec un objet, une œuvre d’art ou le monde environnant. Cette relation suppose « une délocalisation du sujet » (Korff-Sausse, 2010, p.61) par laquelle peut être ressenti et compris ce qu’un autre ressent. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette forme d’empathie ne renvoie pas à une fusion mais bien plutôt à « une identification passagère » (Korff-Sausse, 2010, p.60). L’Einfühlung renvoie à une participation temporaire aux qualités qui dessinent le monde de l’autre.
Nous comprenons comment la relation accompagnant/accompagné, celle qui se tisse au creux d’un parcours psychothérapeutique, saisie chacun des deux protagonistes du coté de ses possibilités-impossibilités d’être avec, dans une disponibilité appropriée et comme Paul-Claude Racamier le rappelle, il faut « se guérir de vouloir guérir » (Racamier, 1992, p.74.). Ceci permettant de laisser la place à un commerce (Umgang) inédit, à une création dans la rencontre, à une rencontre en création.
  • En guise de conclusion :
Pour conclure, nous dirons que l’éthique du soin renvoie à une obligation de l’accompagnant vis-à-vis de l’accompagné. Mais cette obligation est aussi sa possibilité. Celle de sa propre disponibilité, de sa propre capacité à partager les grands problèmes existentiaux de l’homme sans se fourvoyer lui-même dans le terrain de relation qu’il propose. L’éthique du soin renvoie donc directement à l’idée d’une posture, d’une orientation, d’une exigence de travail, d’un certain mode du souci de l’autre. Cela définissant ainsi un cadre dans lequel accompagné/accompagnant peuvent se laisser à être créatif dans la rencontre.

LIVRE :

  • Benaroyo, L. (2010). Éthique et herméneutique du soin. In Lazare Benaroyo et al.
  • La philosophie du soin (pp. 23-36). France : Presses Universitaires de France.
  • Racamier, P-C. (1992). Le Génie des origines. Psychanalyse et psychoses. Paris : Petite Bibliothèque Payot.
  • Winnicott, D-W. (1947). De la Pédiatrie à la Psychanalyse. France, Paris : Payot.
  • Winnicott, D-W. (1989). Lettres vives. France, Paris : Gallimard.

ARTICLE DE PERIODIQUE :

  • Gros, F. (2007). Le soin au cœur de l'éthique et l'éthique du soin. Recherche en

soins infirmiers (N°89), p.15-20.

  • Korff-Sausse, S. (2010).  Aux sources de l’éthique : les enjeux psychiques de la relation de soin. In Lazare Benaroyo et al. La philosophie du soin (pp. 57-67). France : Presses Universitaires de France.
  • Pommier, E. (2016). Sauver le phénomène éthique pour préserver l’avenir. Jonas et Patočka ou la responsabilité et le sacrifice. Archives de Philosophie (Tome 79), p.525-537.